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C’est à Juvénal, de l’Antiquité romaine, qu’on attribue ce slogan qu’on pourrait traduire en 2010 à Québec par « Des hot dogs et des Nordiques ! ». L’analogie n’est pas incongrue car elle reflète un archétype, un paradigme qui a traversé les siècles et les civilisations. Il est davantage le cri du ventre que celui du coeur ou de l’âme. Il exprime deux des besoins les plus fondamentaux, pour ne pas dire primitifs, de l’homme : se nourrir et s’amuser.
Les médias de Québec nous rebattent (et non rabattent, faute extrêmement répandue mais cependant seulement au Québec) sans cesse les oreilles en opposant la culture au sport. C’est une grave erreur. Les deux sont nécessaires pour le sain équilibre de l’homme. J’ai déjà exprimé sur un commentaire précédent, mon opposition au support du sport professionnel par nos gouvernements ainsi qu’à celui de la culture dite populaire (chanteurs populaires, cinéastes etc.). Il en est autrement du sport amateur (arénas de quartiers, fédérations sportives, jeux olympiques etc.) qui a besoin de l’état pour se maintenir et se développer, afin d’assurer la bonne forme physique tout en procurant du plaisir.
À travers cette saga médiatique qui oppose des choses qui ne devraient pas l’être ou même comparées, j’entends toutes sortes de bêtises, issues surtout de personnes incultes et des commentaires méprisants à l’adresse d’une supposée « élite » qui se gargariserait d’une culture qui ne serait ni à la portée, ni la tasse de thé d’une autre supposée « masse ». C’est cette culture que les béotiens appellent d’élite et que moi j’appelle de haut niveau, qui doit être promue et supportée par l’état et le mécénat afin qu’elle survive et se propage.
Quiconque visite un musée sait que le maintien et le développement des collections et expositions coûtent cher. L’opéra est aussi un art coûteux ne serait-ce que parce que c’est l’art par excellence, le plus complet, car il combine le théâtre, la musique et le chant; – pour les non initiés, disons que la plupart des opéras racontent comment le baryton veut empêcher le ténor de coucher avec la soprano- on n’a qu’à considérer le coût des décors, des costumes, de l’orchestre sans parler de celui des chanteurs, qui touchent un cachet bien inférieur à celui des joueurs de la LNH. J’ouvre le livret de quelque 100 pages que le placier du MET de NY m’a remis quand je suis entré dans le Family circle (le poulailler) à 60$ pour assister à cette Madama Butterfly et y lis : This production of Madama Butterfly was made possible by a generous and deeply appreciated gift from the Gramma Fisher Foundation, Marshalltown, Iowa et ensuite Additional funding for this production was generously provided by the Rose and Robert Eldeman Foundation and Mr. and Mrs. Paul M. Montrone. Student discount tickets to this performance have been underwritten by the Beverly Sills Fund for Innovative programming. The revival of this production is made possible by a generous gift from American Express Company.
La culture coûte donc très cher et heureusement que le mécénat existe. Allez à Prague, vous y verrez dans les rues des douzaines de jeunes déguisés en Mozart avec costumes et perruques d’époque qui vous proposent en souriant des billets à quelques euros pour la quelque centaine de concerts de ce soir-là dans les églises et salles de concert de Prague, tandis qu’à Quebec, on vous pré-vend un siège pour quelques milliers de dollars, dont le confort n’est pas assuré dans un « amphithéatre » qui n’est pas encore construit et qui devrait vous promet-on, surtout abriter une équipe de hockey formidable mais encore imaginaire, rêvée, au chandail bleu. Je préfère encore mon siège concret ou même un strapontin mais garanti dans le family circle du MET.
La culture est nécessaire au développement et au maintien de l’équilibre humain. Elle est cependant difficile à définir. On peut la considérer selon le domaine (peinture, sculpture, théâtre, architecture, littérature, musique, opéra) ou le niveau. Par exemple savoir que Ferland et Reno ont chanté « t’es mon amour d’la tête aux fesses » constitue une connaissance culturelle qui peut « enrichir » un individu, tandis que savoir que Joseph Haydn a composé plus de 104 symphonies en constitue une autre. Les deux n’ont cependant pas la même valeur. On dit « les goûts ne se discutent pas ». Rien de plus faux. Le bon goût se définit comme la bonne culture et si ça n’existe pas dans un individu, ça peut s’y allumer, ensuite se développer puis enfin fleurir et rayonner. C’est ce qui devrait se faire à l’école à défaut de se faire dans la famille.
Qu’est-ce qui fait la supériorité de Haydn sur Reno et Ferland en tant que valeur culturelle? C’est simple et même indiscutable. C’est l’universalité de l’élément culturel qui lui confère sa valeur. Pendant que je tape ce billet, à Tel Aviv, Tokyo, Copenhague, Berlin et Philadelphie, on joue dans des salles de concert, des symphonies de Beethoven. Beethoven a traversé les frontières de tous les pays civilisés. Il a traversé aussi le temps. Il a donc passé avec un succès flamboyant et indiscutable, l’implacable et double épreuve de l’espace et du temps. Qu’on le veuille ou non c’est comme ça et j’aurais tendance à dire ça finit là! pour fermer le clapet aux relativistes culturels qui vous lancent encore leur « question de goût » pour justifier et/ou masquer leur propre inculture.
Cette culture-là demande à l’origine un effort intellectuel avant d’être apprivoisée, dégustée, puis assimilée. Elle n’est donc pas populaire, du moins pas au début, mais elle a tout pour le devenir à la condition qu’on veuille bien s’y ouvrir. Verdi ne rentre pas dans le cerveau et le coeur comme Félix Leclerc, Céline Dion ou U2. De l’analyse d’une oeuvre musicale, je m’attends à d’autres phrases que « écoute le beat!, c’est cool! et … c’est hot! » – ce qui me semble aussi contradictoire que laconique-. J’ai fait mes devoirs dans les années ’50 au son des Platters et de Paul Anka. Et je les aime encore… ah! nostalgie!, les slows dansés sur le April Love de Pat Boone, c’était la rotule chercheuse, le genou argentin…qui nous faisaient encore davantage désirer, le fruit défendu… Mais si je les écoute encore plutôt par nostalgie que par goût, je n’en suis pas pour autant resté bloqué là. Pourquoi alors des « adultes » de 40 ans, dont certains, animateurs de radio, écoutent-ils et se délectent-ils encore des boums boums primitifs qu’on entend dans un centre social d’école secondaire pour élèves « en difficulté » ? pourquoi n’ont-ils pas encore dépassé le niveau ou stade 01 en matière de culture musicale?
Je me rappelle de ce professeur de secondaire qui apportait son tourne-disques en classe les vendredis après-midi pour nous faire apprécier le classique Mozart ou le romantique Brahms. Il nous expliquait pourquoi Mozart, dès les toutes premières mesures, faisait traîner longuement les archets des violoncellistes sur leurs graves et lugubres cordes après que les autres instruments se soient tus, dans son ouverture de Don Giovanni: d’entrée de jeu, il veut nous faire pressentir que « ça va mal finir!.. ». Cinquante ans plus tard, quand j’ai visité ce magnifique petit théâtre à Prague où Mozart avait lancé son chef-d’oeuvre quelque 200 ans plus tôt, j’ai eu une pensée émue pour ce professeur, qui, avec mon père et quelques autres ont contribué à me faire aimer le « beau », bref à me rendre un peu moins abruti. Et chaque fois que je sors du Palais Montcalm ,du Metropolitan Opera ou du Louvre , je ressens une vive satisfaction certes, mais je me sens aussi un peu moins niaiseux.
À ceux qui croient encore que ça n’est qu’une question de goût, et qui sont certains de ne pas aimer « ça » je conseille d’aller s’acheter, ou d’emprunter, un CD de musique classique, de relaxer dans leur fauteuil en l’écoutant, et à défaut d’avoir un professeur de secondaire mélomane à leur côté pour leur expliquer « pourquoi c’est beau », de lire simplement le livret ou la pochette décrivant l’oeuvre. Je vous garantis que vous y éprouverez un grand plaisir et vous vous sentirez comme moi, à chaque fois un peu moins abruti… un peu plus grand, et surtout vous aurez le goût d’aller ensuite un peu plus loin. Un Homme c’est ça et la Culture c’est ça aussi et surtout pas autre chose.
Tout mêler témoigne d’une comportement inculte, primaire et limité. Lutter pour le retour d’un équipe de la NHL alors que les coûts élevés l’on fait partir de la ville est condamné à un cul-de-sac du dossier de l’amphithéâtre.
Pourtant pour veiller à sa rentabilité. on ne veut non seulement avoir des hockeyeurs mais des spectacles à grands déploiements. Or, ces spectacles sont du domaine culturel et non sportifs. Le sport a son public , la culture aussi…
Pire, tabler sur le retour des Nordiques éloigne de la table le fédral dont on veut les $$$ à tout prix. C’est ce qui a fait dire au premier ministre Harper : « Nous sommes tous des fans des sports professionnels et les sports professionnels sont la responsabilité avant tout du secteur privé ».
Mais si l’amphithéâtre est un équipement collectif multiculturel, alors on ne parle plus de sport seulement alors s’ouvre la porte des goussets fédéraux de façon équitable et abordable.
Il semble que la fièvre de la NHL a fait perdre la raison à certains.
« Or, ces spectacles sont du domaine culturel et non sportifs. »
à la condition que notre conception du domaine « culturel » englobe des groupes rock qui s’émoustillent sur un « stage » comme des damnés devant des milliers de jeunes et dont les voix et instruments sont déformés et crachés pas d’énormes caisses noires de cônes de cartons vibrants à plus de 200dB, malheureusement, ça ne rejoint pas ma conception de la culture.
L’opéra ne se joue pas dans un stade ou un « amphithéâtre » de hockey, mais dans un vrai théâtre ou maison d’opéra. Il y a en Europe des villes bien plus petites que Québec qui possèdent leur théâtre ou maison d’opéra.
J’ai bien aimé votre texte Reynald.
Vous venez de brisé un tabou débile de notre époque de « nivellement par le bas » et du « tout est relatif » ou encore: « le beau, c’est subjectif »
Ces sujets mes passionne… mais passons, car je crois qu’il y a quelque chose de vraiment plus important… quoique, peut-être que cela est relié à ceci?
En tout cas, pour l’instant, je retiens donc qu’une chose par rapport à votre texte, c’est à dire celle qui touche aux dépenses étatiques.
Vous dites:
« Il en est autrement du sport amateur (arénas de quartiers, fédérations sportives, jeux olympiques etc.) qui a besoin de l’état pour se maintenir et se développer, afin d’assurer la bonne forme physique tout en procurant du plaisir. »
Je crois qu’il est là le « bobo ». Dans ces cas, l’état c’est qui? (le fédéral, le provincial ou le municipal), et surtout, quel palier doit s’occuper de ça pour être le plus efficace et pour éviter les dérives anti-démocratique, et surtout pour plus que nous nous ramassions avec une dette de 225 000 000 000 $ (et qui monte vite en simonac)?
Excellent texte! Je suis impressionnée et touchée.
Effectivement, la culture coûte cher et on m’a déjà dit qu’à New York, elle est largement supportée par la communauté juive. Eh oui…Là bas, l’argent n’a pas de connotation sale comme ici! La culture des dons, des fondations est bien établi, ce qui prouve que le développement des affaires peut aussi enrichir l’ensemble de la société. Mais, essayez d’expliquer ça ici…
J’ai bien aimé votre passage au sujet des relativistes de l’art, vous rejoignez un peu le dernier billet de M. Carl Bergeron au sujet de l’avenir de la culture.
À propos de ces relativistes de l’art, j’en ai lu une bonne il y a quelque jours dans la chronique Culturelle du Devoir:
http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/296097/le-viaduc-van-horne-prend-des-formes-et-des-couleurs
Il s’agit de cinq Artistes Graffiteurs (!) montréalais de renommée internationale (s’il vous plaît) qui ont orné de leurs créations les piliers du viaduc Van Horne. Je tiens à préciser que le Devoir n’a pas cru bon de dévoiler le nom de ces illustres artistes de renommée internationale. Peut-être suis-je trop inculte pour savoir que dans cette sphère artistique, on ne s’abaisse pas à révéler son identité, sait-on jamais?
Enfin…il paraît que cet événement fait partie des actions de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal afin de promouvoir l’Art Urbain.
Moi, après avoir lu ça…j’en étais toute émue…Je ne veux pas vous rendre jaloux, gens de Québec, mais…vous rendez vous compte de la « chance » que j’ai de vivre dans la Grande Métropole Culturelle de notre belle Province??! ;-D
Quel beau texte.
J’en ai les larmes aux yeux.
Pourquoi Diable mes disques de musique classique sont-ils classés aussi loins dans mes tiroirs, me demandais-je.
Le discours actuel me pourrit également la vie.
Il n’a pourtant pas sa raison d’être.
J’étais à Vancouver lors des jeux d’hiver. Certes, il y avait les différentes compétitions sportives mais il y avait aussi tout le reste. Je n’ai pas vu, de mes yeux vu, Alexandre Bilodeau gagner sa médaille. Ni Joanie Rochette. Mais j’ai pu coller mon nez à quelques pouces des dessins de Leonardo Da Vinci. Cette exposition, The Mechanics Of Mans, était un cadeau de la Vancouver Artgallery pour la durée des olympiques. Même le vestiaire était gratuit.
J’ai aussi pu assister à une représentation du Dragon bleu de Robert Lepage au Fei And Milton Wong Experimental Theatre. La toute première pièce jamais présentée dans cette ancienne piquerie du Downtown Eastside.
Être sensible à l’art et la beauté, c’est participer à la transmission de ce que la race humaine a apporté de bon et de bien à cette planète.
Souhaitons à Lepage qu’il réussisse »l’implacable et double épreuve de l’espace et du temps », comme vous le dites si bien.
Quant à Da Vinci, puisse-t-il a jamais nous rappeler ce dont nous sommes capables.
Bien à vous,
Marie Saint-Laurent
Merci Marie, ton témoignage est émouvant.
Si l’homme a été capable de créer d’aussi grandes choses par le passé, il est sûrement capable d’en créer maintenant…et pour les siècles et les siècles… pour la postérité mais aussi pour le bonheur de la race humaine.
Il y a quelques années, j’ai assisté, pour 10$ au Carnegie Hall de NY à un cours suivi d’un concert de quelques oeuvres d’un des grands compositeurs modernes, dirigées par lui-même… Pierre Boulez. En un après-midi, je me suis réconcilié avec la musique moderne. Mais il a fallu que le maestro me prenne par la main… m’explique… comme mon prof de jadis.
Le même soir j’allais écouter Rostropovitch (à ce moment considéré par le London Times comme le plus grand musicien vivant – il est décédé l’année suivante-) diriger le NY Philharmonic. NY est vraiment l’épicentre de la culture.
[…] Du pain et des jeux! « Les analystes 2010-09-15 C’est Juvénal de l’Antiquité romaine qui serait l’auteur de ce slogan qu’on pourrait traduire en 2010 à Québec par « des hot dogs et des Nordiques ! ». L’analogie n’est pas incongrue car elle reflète un archétype, un paradigme qui a traversé les siècles et les civilisations. Il est davantage le cri du ventre que celui du coeur ou de l’âme. Il exprime deux des besoins les plus fondamentaux – je ne dirai pas les plus bas- de l’homme : se nourrir et s’amuser. (tags: LCB lcb_societe) […]
je suis d accord pour soutenir une culture de haut niveau, pas de la culture populaire qui devrait être soutenue par des fonds entièrement privé, les musées certes,cependant pas les festivals qui devrait se financer d’eux même, je n aime pas non plus voir nos impôts subventionner les grandes entreprises comme les alumineries et les pharmaceutique pour lesquels nous donnons plus de 6 milliards par année et ce n’est pas tout, la Colombie-Britannique reçois en redevance plus de 1000 fois plus que le Québec pour son gaz de schiste.Nos politiciens sont soit de pur idiot doubler de pauvre cloche soit ils sont des…
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