LE SENS DU SACRÉ

Publié: 20 décembre 2010 dans Uncategorized

Reynald Du Berger

Au cours de mes dernières années au Saguenay, j’étais président de la Société de St Vincent-de-Paul de la plus grande paroisse, celle de la Cathédrale. Ma célébration de Noël, et surtout le sens que je donnais à cette Fête, commençait au début de décembre pour se terminer la veille de Noël.

Je devais d’abord recruter les bénévoles pour la guignolée des maisons, aller quêter dans les super-marchés, « passer » la guignolée des commerces, puis ensuite coordonner la grande opération des Paniers de Noël, à laquelle j’associais les élèves de sec V d’une grande polyvalente de Chicoutimi. Les activités devenaient fébriles vers la mi-décembre. J’étais alors fort occupé entre les écoles, les foyers de personnes âgées, les commerces et le sous-sol de la cathédrale. Avec mon camion pickup, j’allais cueillir les denrées que les gens avaient amassées un peu partout, – il fallait plusieurs voyages- je déchargeais ça au sous-sol de la cathédrale, puis repartais pour un autre voyage. J’aidais ensuite les bénévoles au tri et à la préparation des paniers. L’opération durait plusieurs jours.

Une semaine avant Noël, j’accueillais les centaines de pauvres qui étaient venus s’asseoir au sous-sol après avoir pris un numéro. Puis je contrôlais les listes selon les besoins, afin que chacun reçoive un panier adapté à sa situation familiale. Parfois, j’aidais les enfants à choisir un jouet, un livre, une poupée… Vers midi j’allais remplacer les deux étudiants bénévoles transis de froid et qui distribuaient la viande et les desserts dans le camion de location stationné à la porte de la cathédrale,  afin qu’ils puissent diner. Vers 15 heures, quelqu’un apportait un bouteille de brandy pour « renforcer » le café. Une vieille dame venait ensuite m’emprunter des assiettes de carton, « c’est pour la collation des enfants qui chantent en-haut », me disait-elle en m’indiquant le plafond… Je montais alors avec elle dans le choeur pour découvrir en effet que le ténor pratiquait son « Minuit Chrétiens » avec la chorale des enfants. Je m’assoyais alors quelques instants sur la balustrade en sirotant mon café-brandy, pour écouter ce chant magnifique accompagné des grandes orgues Casavant et qui faisait vibrer d’allégresse cette superbe et vénérable cathédrale. Avec leurs cantiques, ils avaient eux aussi probablement leur propre sens à donner à la célébration de la « naissance du Christ, sauveur de tous les hommes » Mais savaient-ils seulement ce qui se déroulait à ce moment même sous leurs pieds?

Tandis qu’ils célébraient à leur façon, nous célébrions à la nôtre, même si plusieurs d’entre nous ne fréquentions plus le culte dominical à la cathédrale depuis longtemps. Vers 16h, on transférait dans mon pickup toute la viande et les desserts qui restaient car on devait rendre le camion de location. Puis on distribuait cela à travers les familles qui n’en avaient pas reçu, car elles n’avaient pas fait leur demande à temps. Ensuite j’allais livrer leurs paniers aux personnes qui ne pouvaient se déplacer. Et je me rappellerai toujours le premier appel téléphonique reçu à mon nouveau numéro de téléphone, le lendemain de mon déménagement à Québec, juste avant Noël 2006, une petite voix éraillée que j’ai reconnue: « Allo? … donnez-vous encore des dindes c’tannée? » Voilà pour le sens que je donne à cette grande Fête.

Au fil des ans, Noël a perdu beaucoup de son véritable sens religieux, qui est celui du partage, de la fraternité, de la compassion, pour devenir une fête de plus en plus commerciale. Plusieurs ont perdu ce que j’appelle le sens du sacré.

J’ai appris des choses enrichissantes et étonnantes sur la religion à l’école et à la maison mais aussi quand je suis allé en Iran en novembre 2003, choses que je voudrais partager avec vous, amis de ce blogue, avant la grande Fête. C’est à Yazd, à quelques centaines de km au sud de Téhéran qu’est née il y a plusieurs millénaires, la plus  ancienne religion du monde encore vivante, le Zoroastrisme, ou Mazdéisme, la religion des Mages. À Yazd, les Tours du silence se trouvent en banlieue sur des tertres. (cliquez sur les photos pour les agrandir)

Le site garde quelque-chose d’âpre, d’austère et de désolé. Jadis on ne pouvait pas entrer dans ces tours; les prêtres seuls y avaient accès, qui déposaient les morts sur des pierres. Quand les vautours avaient, en quelques heures seulement, dévoré les chairs, ils ramassaient les os qu’ils jetaient dans une grande fosse au centre de la tour. Tout a changé maintenant. Dès 1970, elles n’étaient guère plus utilisées et, à partir de 1978, l’exposition des cadavres fut interdite sous prétexte d’hygiène publique et de risque d’épidémie. Ce fut alors pour les Mazdéens un cruel déchirement que d’être contraints de renoncer à une coutume millénaire. Cela posait surtout un problème difficile résoudre. En effet, ils considèrent les morts comme impurs et susceptibles de souiller ces éléments sacrés que sont le feu, la terre et l’eau. Par suite, ni incinération, ni enterrement ni immersion ne sont envisageables. La solution qu’ils ont trouvée consiste couler la dépouille mortelle dans une sorte de chape de ciment.  De loin cela ressemble assez à une pierre tombale.

Je suis allé voir ces tours du silence à Yazd. On peut y entrer. On voit des plaies béantes dans les murs qui les feront peut-être s’écrouler un jour prochain. Elles servent maintenant à de jeunes motards qui viennent escalader les monticules. Là où gisaient jusqu’à récemment des chairs en décomposition, ils effectuent des tours de piste comme dans un cirque. Le guide iranien à qui je disais que c’était de la profanation me dit qu’il n’y a rien à profaner, puisqu’on n’y met plus les morts… certes, mais ne peut-on pas profaner la mémoire d’un peuple?

Puis je suis allé au sanctuaire de la ville, au temple du feu (Ateshgah).

C’est un bâtiment moderne , sans aucun intérêt architectural, où pourtant on ne peut entrer sans une réelle émotion pour peu que l’on ait quelque sens du sacré, ou même simplement le sens de l’histoire. Le feu y est entretenu dans une grande vasque en bronze, au coeur d’une petite pièce isolée par des vitres . Cette petite pièce n’est accessible qu’aux prêtres gantés et  voilés pour que même leur haleine ne puisse souiller la flamme. Quel respect du sacré! Depuis quand brûle ce feu sans jamais s’éteindre? On ne sait pas exactement, depuis trois ou quatre millénaires certainement. En effet le mazdéisme est la plus ancienne religion du monde encore vivante, héritage des vieilles religions indo-européennes de la préhistoire.

Au-dessus de la porte d’entrée du temple du feu, est placée une image en faïence bleue et jaune, représentant un grand disque ailé d’où émerge un buste d’homme tenant une couronne. C’est la figure d’Ahura Mazda qu’on rencontre partout en Iran. L’image d’Ahura Mazda planant dans l’azur apparaît omniprésente. On la voit aussi bien dans les grandes tombes, comme celle d’Artaxerxès, que sur les reliefs commémoratifs de Bisutun  et de Persépolis (escaliers sud le l’Apadan, porte est du nipylon, salle des cent colonnes ). Sous l’effigie d’Ahura Mazda, sont gravés en farsi, les trois préceptes du Zoroastrisme: Bien penser, bien parler, bien agir.

Et je termine ici, en retournant vingt siècles en arrière, c’était l’époque des Mages (mobad), issus d’une tribu sacerdotale d’origine mède, qui deviendraient de grands prêtres du mazdéisme, des savants, des « rois » . Parmi eux, il en fut trois qui vinrent rendre hommage au Christ nouveau-né, parce qu’il était « le Sauveur », « la Lumière du Monde » et qu’ils croyaient,  eux, au salut. Ils marchaient dans la lumière divine, fondement du mazdéisme, en l’occurence matérialisée par l’étoile mystérieuse qui les guidait. Ils allèrent à Bethléem. Ils allèrent en bien d’autres lieux encore. Ils firent rayonner le mazdéisme jusqu’aux extrémités de l’univers. Cette religion d’Iran serait la source du manichéisme, un vrai dualisme cette fois, et de ses avatars, le bogolisme et le catharisme. Elle influencerait pratiquement toutes les civilisations et toutes les croyances, y compris celles d’Israël, celles de la Grèce et, au-delà, celles de Rome.

J’ai donc été aussi ému dans l’Ateshgah de Yazd et aux pieds des tours du silence que je l’ai été dans l’église de la Nativité à Bethléem et dans celle du Saint Sépulcre à Jérusalem, parce que je pense avoir conservé ce sens du sacré, que je vous souhaite de conserver aussi, chers amis de ce blogue, et surtout de transmettre à vos enfants et petits-enfants.

Joyeux Noël!

commentaires
  1. […] This post was mentioned on Twitter by La capitale blogue, Les analystes. Les analystes said: LesAnalystes.ca : LE SENS DU SACRÉ http://bit.ly/f5IrXd @Ian_Senechal […]

  2. Le Galopin dit :

    Mon cher Raynaldo,

    Merci de nous faire partager tes connaissances et tes états d’âme. Ton billet m’a extrêmement touché.
    Joyeux Noël et mes meilleures salutations au Grand Bigard!

    Egidio

    • Reynald Du Berger dit :

      Cher collègue, coéquipier de recherche, compagnon de voyages et surtout ami,

      Qu’Ahura Mazda te comble de bonheur toi et les tiens.

      Je te souhaite un très joyeux Noêl, entouré de ceux et celles que tu aimes.

      Padre Reynaldo

  3. Sébas dit :

    Très beau texte !

    Et il n’y rien de plus sacré que l’intimité et les pensées de quelqu’un.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Vie_priv%C3%A9e

    En touchant à ce droit, nous désacralisons quelque chose de précieux.

    ***

    Citation:

    «Notre liberté se bâtit sur ce qu’autrui ignore de nos existences»

    Soljenitsyne
    -écrivain et dissident russe.
    -emblème de la résistance au système soviétique.
    -a contribué à faire tomber la plus grande tyrannie que le monde ait jamais connu.
    -auteur de « L’Archipel du Goulag »

    ***

    Joyeux Noël à tous

  4. williams pq dit :

    Je n’avais jamais vue les religions sous cet angle « le sens du sacré ». J’ai tendance à être sur la défensive quand la religion est abordée. « Le sens du sacré » est de respecter la croyance de nos ancêtres. En ne respectant pas cela on atténue leurs mémoires et souvenirs. Il faut considérer que la religion a fait partie de leur vie et qu’ils ont contribué pour la qualité de vie d’aujourd’hui. Respecté que d’autre y ont cru. En détruisant les signes de cette croyance ont détruit la mémoire de nos ancêtres.

    Merci pour ce billet!

  5. Reynald Du Berger dit :

    La religion fait partie de la nature humaine. Dès les premiers ages de l’humanité, on s’est interrogé sur le sens de la vie. On a eu besoin du sublime et on a accepté qu’on ne pouvait tout comprendre, tout appréhender, tout maîtriser. De la sont nés les croyances et les rites. Croyances en un ou plusieurs dieux, rites de passages, funéraires ou nuptiaux. L’homme a besoin de mystère et d’absolu. Il est dommage qu’on assiste au crépuscule de plusieurs de ces religions et des rites les accompagnant. Personnellement je ne fréquente plus les églises depuis longtemps, et ça a commencé quand on a fait entrer la musique pop dans les églises à la place du chant grégorien et qu’on a remplacé le bon latin par du mauvais français. J’ai la nostalgie des grandes cérémonies religieuses d’autrefois avec la grande musique qui les accompagnait, et je m’en confesse.

    Qu’Ahura Mazda vous garde en santé et heureux pour 2010 cher compagnon de ce blogue.

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