On a dit aux gamins vendredi à l’école, qu’il fallait qu’ils demandent à leurs parents d’éteindre toutes leurs lumières ce soir de 20h, jusqu’à 21h, en signe de deuil … pour la Planète avec un P majuscule… qui agonise ou qui est déjà morte. C’est le Jour de la Terre.
Je leur demande ce soir, de les allumer toutes, en hommage à leurs parents avec un P encore plus gros que celui de la Planète.
Je suis né en 1945. Ma mère a eu 5 enfants, et ce n’était pas la faute d’un curé qui faisait des pressions pour qu’elle fasse des baptisés, ni même son choix. Papa et maman ( deux mots désormais proscrits par le psy Dr Mailloux en 2018, qui préfère que je parle de mon géniteur et de ma génitrice, termes rigoureusement et scientifiquement exacts, j’en conviens), prenaient les enfants comme ils arrivaient et faisaient ensuite de leur mieux. De leur mieux et un peu plus.
Chez-nous, on était une famille de 2 parents et 5 enfants , et c’est comme ça que ça s’appelait en 1950… une famille. Mon géniteur avait deux jobs, la première comme journaliste à l’Action catholique.. eh oui les jeunes! Imaginez un journal qui oserait s’afficher « catholique » en 2018!… et la deuxième à la station de radio CHRC où il traduisait les bulletins de nouvelles de l’anglais au français.
Pour aller et venir entre chez-nous et l’Action catholique, mon géniteur prenait le p’tit train de Ste Anne. Il soupait rapidement et ensuite il enfourchait sa bicyclette pour aller à CHRC. Un soir, ma génitrice l’a grondé parce qu’il avait perdu, à force de pédaler, sa paie hebdomadaire de 15$ qu’il avait négligemment glissée dans sa poche arrière. Un autre soir, je l’ai vu rentrer avec une marche d’escalier sous le bras, qu’il avait trouvée au bord de la route, et avec laquelle il a fabriqué une planche à repasser pour ma génitrice.
Ma génitrice faisait la lessive dans une machine « à tordeur » et je craignais toujours qu’elle se prenne le bras dans le « tordeur » (deux rouleaux de caoutchouc qui servaient à essorer). De l’autre côté du tordeur, il y avait une cuve d’eau de rinçage avec du bleu à laver (qui ne sert aujourd’hui qu’aux queues de billard). Ma génitrice étendait ensuite le linge sur la corde à linge ou au sous-sol selon la saison… Mais ce n’était pas fini… la génitrice devait ensuite repasser et aussi amidonner les cols et poignets des chemises du géniteur…la corvée de la génitrice se terminait vers 23h , mais le géniteur n’était pas encore couché car…
Une nuit, je suis descendu faire pipi et l’ai vu vers 2 heures du matin, taper sur sa machine à écrire Underwood , la critique du récital de la grande soprano allemande Elisabeth Schwarzkopf, qu’il avait entendue ce soir-là au Palais Montcalm, et que je n’ai pu entendre ensuite que sur des microsillons. J’ai retrouvé plus tard cette critique dans ses archives.
Quelques fois j’ai écopé d’une raclée du géniteur (le crime impardonnable par le juge Dr. Mailloux) parce que j’avais rendu la génitrice à bouts de nerfs. « Attends que ton père (géniteur) arrive! », car dans les années 1950, nos génitrices pouvaient dire cela sans voir ensuite débarquer la police ou la DPJ.
Certains soirs, mon géniteur, après avoir sarclé son jardin, trouvait encore de l’énergie pour s’atteler comme un cheval au « banneau » et nous offrir une balade dans la rue.
On rentrait de l’école à midi, ça sentait la soupe aux choux et on entendait ceci.
Le soir, notre génitrice nous assistait dans nos devoirs, et le géniteur nous faisait réciter ensuite nos leçons. Puis, réunis tous en rond, au pied de son fauteuil,, dans nos pyjamas de flanelle rayés que notre génitrice nous avait confectionnés laborieusement et savamment au « moulin à coudre », le géniteur nous racontait (pas lisait!… mais racontait!, en l’inventant d’un soir à l’autre) une histoire avec des châteaux remplis de sorcières ou de fées… et au bout de 20 minutes… allez hop!.. au lit!
Je m’adresse aux enfants qui ce soir, vont demander à leurs géniteurs, d’éteindre leurs lumières. Demandez donc à votre géniteur ou à votre génitrice, après avoir éteint les lumières, d’allumer une lampe à l’huile, ou une bougie, et de vous raconter une histoire… sans la lire… à la lueur blafarde de la flamme… comme mon géniteur faisait dans les années 1950, juste pour voir. Si vous avez de la chance, vous verrez alors osciller sur le mur, l’ombre d’un papa ou d’une maman… Sinon, vous devrez vous contenter de géniteurs… qui n’ont pas le temps.
Votre texte me remet en mémoire de doux souvenirs un peu semblables.De réentendre »les Joyeux Troubadours » m’a fait remonté la pendule du temps. OUI, quand mon frère et moi on revenait (a pied évidemment) de l’école pour le diner, c’était bien ce que ma mère écoutait, et juste avant (peut-être après), il y avait un radio-roman que nous écoutions religieusement. Si quelqu’un se souvient du titre ?
Le radio-roman était peut-être Francine Louvain… ou Je vous ai tant aimé …
Excellent texte qui me remémore mon enfance, même si je suis né en 58, je ne vois rien de différent, même le bleu à laver, la Kelvinator à rouleau et la cuve carrée en aluminium qui me servait même de piscine, l’été…:)