
Le Groenland, le Canada et le canal de Panama sont parmi les ambitions géopolitiques – que certains appellent lubies- récemment exprimées par le président américain Donald Trump. Ces territoires représentent des éléments stratégiques cruciaux, où ressources, souveraineté et contrôle géostratégique convergent.
Lire la suite: LE GROENLAND AUX AMÉRICAINS ?Même si ces trois propositions ne faisaient pas partie de son programme électoral, elles suscitent néanmoins de l’émoi, voire de l’effroi parmi la gauche anti-Trump.
Il ne faut pas y voir un Donald Trump follement épris du désir d’étendre son territoire, comme jadis le roi de l’immobilier acquérait frénétiquement des immeubles de New York. Ses ambitions sont beaucoup plus géostratégiques que territoriales.
En ce qui concerne le Groenland, Donald Trump présentait officiellement en conseil de presse le 24 janvier, son nouvel ambassadeur au Danemark, Ken Howery. Il émit alors le souhait que le Groenland devienne américain « pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les États-Unis estiment essentiel de posséder et de contrôler le Groenland ». Mais les raisons profondes sont beaucoup plus mercantiles, comme nous le verrons plus loin. Lors d’une autre conférence de presse tenue le 7 janvier, il évoqua en termes à peine voilés, l’utilisation de la force « Non, je ne suis pas prêt à éliminer l’option militaire pour obtenir gain de cause. Peut-être faudra-t-il faire quelque chose ? le Danemark devrait nous le céder, ou bien les habitants du Groenland devraient voter pour leur indépendance puis rejoindre les États-Unis* . Il y va de notre sécurité économique. Je parle de la défense du monde libre ».
Quelques jours plus tard, son fils ainé Don Jr, atterrissait au Groenland en « visite privée » à bord du Trump Force One, l’avion de son père. Des Groenlandais portant la fameuse casquette rouge MAGA l’accueillirent chaleureusement. On projeta une vidéo lors de la réunion qui suivit montrant le Président Trump leur garantissant qu’on allait « prendre grand soin d’eux » et « assurer leur défense ». Et si le Danemark osait s’y opposer, les désormais fameux « tarifs douaniers très lourds » leur seraient infligés.
Lors de son premier mandat en 2019, Donald Trump avait déjà évoqué l’achat du Groenland au Danemark. Il avait même évalué l’offre à 1 500 milliards de dollars. Il est certain que la transaction se fera tôt ou tard et il a probablement raison.
Le Groenland et la plus grande île de la planète (l’Australie est un continent). Il s’étend sur plus de deux millions de kilomètres carrés pour une population de seulement 57 000 habitants. Son bouclier géologique est formé des plus vieilles roches de la Terre. La Ceinture de roches vertes du Sud-Ouest comporte des roches âgées de 3,7 à 3,8 milliards d’années.
Les Danois colonisèrent le Groenland au XVIIIème siècle et en firent l’acquisition formelle en 1814. Il dispose d’institutions autonomes depuis 1979, mais il reste rattaché au Danemark.
Les alarmistes du changement climatique ne m’en voudront pas de rappeler que « groenland » signifie terre verte et qu’au temps des vikings qui l’ont colonisé, de vastes forêts recouvraient une grande partie du territoire, et pourtant personne n’avait encore démarré une tondeuse à gazon !
La Commission géologique des États-Unis (USGS) estime les réserves d’hydrocarbures du Groenland à plus de 17,5 milliards de barils de pétrole et 450 milliards de mètres cubes de gaz naturel. À cela il faut ajouter, toujours selon la USGS 1,5 millions de tonnes de terres rares et d’importantes réserves de graphite lequel est essentiel pour fabriquer les batteries des véhicules électriques. Présentement, la Chine domine le marché des terres rares contrôlant 70% de la production mondiale et 90% des capacités de raffinage. Le Groenland regorge donc de terres rares notamment sur le site de Kvanefjeld, l’un des plus grands gisements mondiaux. On estime que le Groenland recèle entre 12 et 20% des réserves de la planète. Ces réserves resteraient néanmoins loin derrière celles de la Chine, mais supplanteraient celles de la Russie ou des États-Unis. On y trouverait en particulier du néodymium, du praséodymium, du dysprosium et du terbium, autant de matériaux indispensables à nos voitures électriques, nos téléphones portables ou encore nos éoliennes. Les États-Unis ont déjà amorcé des démarches diplomatiques pour renforcer leur coopération avec le Groenland et le Danemark, évitant ainsi que ces ressources ne tombent sous le contrôle d’intérêts chinois ou russes.
Toutefois, exploiter ces ressources ne sera pas simple. Le climat rigoureux et les infrastructures limitées du Groenland compliquent toute exploitation à grande échelle. Malgré ces défis, des investissements ciblés et des partenariats bien construits pourraient permettre aux États-Unis de développer une chaîne d’approvisionnement indépendante, garantissant ainsi leur souveraineté technologique.
Le Groenland est aussi stratégiquement important vu sa situation géographique. Il touche au Canada et il est proche de la Russie par le cercle polaire. Son littoral constitue une voie maritime importante qui pourrait se développer à la condition que le « réchauffement climatique » veuille bien coopérer. Sa position à l’intérieur du cercle polaire renforce son intérêt stratégique permettant aux États-Unis de surveiller militairement son vieil adversaire, la Russie. Les Américains possèdent déjà depuis la guerre froide, une base militaire aérienne à Thule au nord de l’île, équipée de radars de surveillance, dans le cadre de leur dispositif anti-missiles balistiques.
Donald Trump n’est pas le premier président américain à s’intéresser au Groenland. Le président Truman en 1956 avait proposé d’acheter l’île aux danois pour 100 millions de dollars. Le Danemark avait refusé l’offre mais conclu un accord de défense, lequel est toujours en vigueur, concernant la protection du Groenland face à l’Union soviétique. Truman n’était cependant pas le premier Américain à vouloir acheter de Groenland, puisque le secrétaire d’État William Seward presqu’un siècle plus tôt, a voulu l’acheter aussi. C’est aussi lui qui est à l’origine de l’achat de l’Alaska à la Russie en 1867. Il avait aussi proposé d’acheter à ce moment le Groenland et l’Islande, proposition qui resta lettre morte, le Congrès n’étant pas intéressé. Les Américains achetèrent néanmoins les Antilles danoises en 1917, lesquelles devinrent alors les Îles Vierges.
On peut comprendre que les esquimaux du Groenland aspirent à l’indépendance, mais cela n’est pas réaliste. L’île dépend lourdement des subventions danoises pour sa survie et son approvisionnement. Elle ne peut même pas assurer sa propre défense, dépendant pour cela indirectement des Américains à travers l’Otan à laquelle elle est rattachée par l’Union européenne.
Il est à prévoir que Donald Trump claironnera que les Américains paient déjà pour le Groenland et sans eux l’île serait déjà entre les mains de la Russie. Peut-être l’indépendance serait le plus court chemin vers son annexion par les États-Unis. Peut-être aussi que Trump ne vise pas à court terme s’approprier l’île mais en exprimant son intérêt, la soustraire à la convoitise notamment par la Chine. En 2018, il était intervenu afin d’y bloquer la construction de trois aéroports par les Chinois. Plusieurs sociétés minières américaines sont déjà implantées sur le sol groenlandais, et il est fort probable que cette coopération s’intensifiera au cours du présent mandat de Donald Trump.
Des points de vue économique et stratégique, tout porte à croire que le Groenland sera un jour rattaché aux États-Unis, même si on ne sait pas encore quand et comment cela pourra se faire.
*Une idée à explorer chez les souverainistes québécois.








