Dans mon cours de religion de onzième année en 1960, mon professeur avait l’habitude de nous lire des passages du livre des Abbés Dion et O’Neill « Le Chrétien et les Élections ». Mon père étant journaliste, il avait ce livre dans sa bibliothèque et je l’ai donc lu. On avait même la question à l’examen « faut-il voter pour le meilleur homme – la femme était absente de la scène politique en 1960- ou pour le meilleur parti? ». La bonne réponse était évidemment le meilleur parti. Par la suite, j’ai toujours considéré le parti avant le candidat à chaque scrutin.
Je ne suis pas seulement électeur mais actionnaire au moment des élections. J’ai investi beaucoup dans ce pays et dans cette province. Je paie des impôts, je suis ce qu’on appelle un contribuable et j’ai donc un mot a dire au moment de ces réunions d’actionnaires qui devraient avoir lieu à dates fixes. C’est à ce moment que l’assemblée des actionnaires décide si elle doit plébisciter le conseil d’administration, ou lui montrer la porte. Il y a cependant un problème : il y en a qui ne sont pas actionnaires et qui ont quand même droit de vote. Ils représentent 43% des électeurs. La rectitude politique nous empêche de trouver un euphémisme pour les qualifier. Je les appellerai donc des non-contribuables. Le conseil d’administration tient compte de ces gens en adoptant des politiques qui leur plaisent, au grand dam des actionnaires, qui eux, paient la facture pour les coûteux excès de générosité du conseil d’administration. Imaginez la levée de boucliers si on enlevait le droit de vote à ces non-contribuables. Pourtant, toute saine et prospère entreprise cotée en bourse ne permettrait jamais à des personnes qui ne sont pas ses actionnaires, de se prononcer sur l’avenir de l’entreprise… à moins qu’elle ne soit au bord de la faillite. Québec inc. est en effet au bord du gouffre, et ce sont probablement les 43% de votants non-actionnaires, qui lui feront faire un pas en avant.
À ma dernière chronique radiophonique, on m’a demandé comment j’allais voter. La dernière refonte de la carte électorale me place maintenant dans le comté de Charlevoix- Côte-de-Beaupré, celui de « matante Pauline ». Sans préjugés, j’examinerai les programmes des partis qui y présentent des candidats, et je placerai mon X à côté du nom de celui ou celle qui représente le parti au programme électoral se rapprochant le plus de mes valeurs, de mes aspirations. S’il n’y en a aucun, je n’irai pas voter ou j’annulerai mon vote. Quand on met son X, on appuie le parti représenté par le candidat, on dit alors qu’on est plutôt d’accord avec son programme. Il n’a jamais été question pour moi de voter pour un parti « moins pire », au programme duquel je n’adhère pas afin de pouvoir « tasser » le parti « pire » qui risque d’être au pouvoir, si on ne le « tasse » pas. Ce n’est pas ma conception de la démocratie. Peu importe l’importance , la taille du parti, je voterai pour celui-ci, si son programme me plaît. Si tous les électeurs votaient ainsi, on n’assisterait plus aux luttes à deux, mais à des luttes multi-partites beaucoup plus saines et la démocratie s’en porterait mieux. Les résultats refléteraient davantage les valeurs et aspirations de la population, et non pas ses sentiments. Entre gauche et droite, il y a une palette de nuances que l’électeur doit apprendre à apprécier.
Pour cela, il doit s’informer des programmes de chaque parti. C’est laborieux, mais c’est le prix d’un vote raisonné plutôt qu’émotionnel. Combien d’électeurs se laissent séduire par le sourire d’un candidat bon gars sympathique, un bon « Jack » qui court les partys westerns en mangeant des hot dogs et ne serrant que des mains de gens « ordinaires »?
Je reprends ci-dessous un texte de mon père que j’ai publié il y a quatre ans sur ce blogue.
C’est un article publié en 1935 par mon père Georges-Henri, alors journaliste à L’Action catholique (il n’avait que 21 ans) , et qui n’a même pas fait la une. Il décrit en détail deux assemblées politiques de l’Union nationale tenues le même soir, l’une à l’Ange Gardien et l’autre à Beauport, entre les deux élections générales provinciales de 1935 et 1936.
Le Parti libéral remporte l’élection de 1935, de justesse. C’est la quatrième victoire électorale consécutive pour Louis-Alexandre Taschereau. Toutefois, croulant sous les scandales, il doit démissionner moins de sept mois plus tard.
Entre l’élection du 25 novembre 1935 et celle du 17 août 1936, le Parti conservateur et l’Alliance libérale nationale fusionnent sous le nom de l’« Union nationale » et ce parti deviendra une force politique redoutable.
Nous avons maintenant le « Débat des chefs ». Qu’en est il de l’échange un peu plus musclé rapporté par mon père en 1935? Maurice Duplessis en aura-t-il tiré du capital politique? Le fait est que le 17 août 1936, il remporte une victoire éclatante, 76 sièges contre seulement 14 pour les libéraux à l’Assemblée législative. L’article de mon père y aura-t-il été pour quelque chose?
Il n’y avait pas de caméras vidéos en 1935, encore moins de téléphones portables munis de caméras et j’admire mon père pour avoir su si habilement saisir et décrire avec autant de précision, à l’aide seulement de son crayon et son calepin, cette horreur, appelée le soir même simplement « scène pénible à voir » par le maire de Québec, M. J.-Ernest Grégoire. Le « Je déteste le PQ » de l’opposition est bien anodin comparé à ce qui suit. Jugez vous-mêmes. C’est long mais pas longuet du tout…
L’Action catholique, 9 décembre 1935.
DES ARRESTATIONS SERONT FAITES
Des assommeurs ont terrorisé, hier soir, le paisible village de l’Ange-Gardien sur la côte de Beaupré.
Un groupe de 15 à 20 jeunes gens, dont plusieurs sous l’emprise des liqueurs alcooliques, ont empêché la tenue de l’assemblée politique de M. le docteur J.-Félix Roy, ex-candidat de l’Union nationale dans Montmorency, et de ses compagnons. Armés de barres de fer, de bâtons et de chaises, ils ont envahi l’estrade où se trouvaient déjà plusieurs citoyens du comté et les principaux orateurs de la soirée. Ils ont frappé sauvagement tous ceux qu’ils ont rencontrés. Le sang a coulé. Le Dr Roy lui-même a été assez sérieusement blessé.
Aujourd’hui, gît sur un lit d’hôpital un nommé Charles Parent, de Beauport, qui , au cours de la mêlée, fut frappé violemment à la tête. Parent était parmi les manifestants et il aurait été victime de la méprise de l’un de ses compagnons qui, le prenant pour un partisan de l’Union nationale, lui aurait asséné sur la tête plusieurs coups d’une clef servant à ouvrir les bornes-fontaines.
Le docteur J.-Félix Roy a été assailli à la fois par trois manifestants. Deux lui brisèrent une chaise sur la tête, tandis que le troisième le frappa en pleine poitrine avec le microphone qui devait porter la parole des orateurs à l’intérieur et à l’extérieur de la salle. L’adversaire du premier ministre aux élections provinciales dans Montmorency, porte une profonde entaille longue de trois pouces au-dessus de l’oeil droit, et quelques contusions au bras droit et à la poitrine. Son état n’est pas grave toutefois. Il nous déclarait ce matin qu’il doit probablement la vie, à l’intervention de M. Dupuis, opérateur de radio, pour la maison L.-A. Gauthier, qui a brisé trois chaises sur la tête de ses assaillants.
En outre, une dizaine de personnes qui avaient pris place sur l’estrade souffrent de blessures plutôt légères. Un vieillard de 80 ans reçoit une chaise en pleine figure. Quelques-uns ne durent la vie sauve qu’au hasard providentiel. Citons entre autre le cas de M. J.-Wilfrid Dufresne qui vit voler en éclats, sous la barre de fer de son adversaire, les deux chaises dont il se couvrait la tête.
Son honneur le Maire Grégoire, député de Montmagny, aurait été malmené par les manifestants (on verra plus loin dans quelles circonstances) n’eut été l’intervention opportune de M. le Curé de l’Ange-Gardien, M. l’abbé Ludger Picher.
Son forfait accompli, la troupe ayant à sa tête un fier-à -bras du nom de Roméo Parent, se rendit à Beauport dans l’intention de briser l’assemblée que tenaient, au Manège Militaire, Mtre Horace Philippon et ses amis.
La foule, émue par ce qui venait de se passer à l’Ange-gardien, ne s’en laissa pas imposer et rejeta à l’extérieur les manifestants. Ceux qui parvinrent à tromper la surveillance se contentèrent de manifester par leurs cris. La Police Provinciale, qui ne s’était pas rendue à l’Ange-Gardien, se trouvait à l’assemblée de Beauport. Un certain nombre de dames assistaient aux deux assemblées politiques de l’Union Nationale. Quelques-unes ont été prises de panique à la vue du sang répandu à l’Ange-Gardien.
Les deux candidats de l’Union Nationale tenaient chacun une assemblée pour remercier les électeurs qui les ont supportés au cours de la dernière campagne électorale et pour protester contre certaines irrégularités dont se seraient rendus coupables les ministériels en la même circonstance. Le docteur Philippe Hamel, député de Québec-Centre, affligé d’une mauvaise grippe, n’avait pu se joindre à ses amis.
À bonne heure, ce matin, on nous apprenait à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, que Charles Parent avait sommeillé quelques heures et qu’à six heures, il était à demi-conscient. Dès son arrivée à l’hôpital, il dut subir un examen radiographique. Les médecins ne se sont pas encore prononcés sur son cas. S’il n’y a pas de fracture profonde du crâne, il est probable qu’il survivra.
Nous donnons ci-dessous, en résumé, la physionomie des deux assemblées de l’Union Nationale tenues, hier soir, sur la côte de Beaupré.
À L’ANGE-GARDIEN
Voici comment se résume la sanglante affaire de l’Ange-Gardien.
Dès 8 heures, une foule considérable avait envahi la salle paroissiale où devait être tenue l’assemblée de l’Union Nationale. Avant l’arrivée des orateurs, un jeune homme monta sur le théâtre et demanda à la foule de bien vouloir écouter paisiblement ceux qui allaient parler. On l’applaudit, de même qu’on applaudit M. le docteur Félix Roy lorsqu’il fit son entrée, suivi de ses lieutenants.
Sur le théâtre prirent alors place plusieurs citoyens de l’endroit, notamment quelques vieillards de 80 ans et plus, ainsi que les premiers orateurs de la soirée, MM le docteur Félix Roy, le notaire Donat Demers, J.-Wilfrid Dufresne et Hormidas Langlais. Devaient aussi se rendre à cette assemblée et y adresser la parole, au milieu de la soirée, Son Honneur le Maire de Québec et député de Montmagny, M. J.-Ernest Grégoire, M. Oscar Drouin, député de Québec-Est et Mtre Horace Philippon, ex-candidat de Québec-Comté.
Monsieur Dufresne s’avance pour prendre la parole, sur l’invitation du président. Il avait à peine prononcé le premier de ces trois mots: « MM les Président », qu’un fier-à -bras du comté, du nom de Roméo Parent, sauta sur le théâtre, armé d’une clef servant à ouvrir les bornes-fontaines. « Les élections sont finies et vous ne parlerez pas ! » lança-t-il en brandissant le morceau de fer dont il était armé.
À ce moment, un groupe de 15 à 20 compères, qui se tenaient au premier rang de la foule, montèrent à leur tour sur le théâtre, armés de barres de fer et de chaises dont ils s’apprêtèrent à frapper tous ceux qui tombaient sous leurs mains. La mêlée qui s’ensuivit fut quelque chose d’horrible.
Un premier assaillant se jeta sur M. Dufresne qui, pour éviter le coup de barre qui lui était destiné, dut se garer avec une chaise. La chaise vola en éclats. Une seconde eut le même sort.
Un deuxième assaillant brisa sa chaise sur la figure d’un octogénère. Le sang commença à couler.
Le docteur Félix Roy fut alors cerné par trois individus, dont deux lui abattirent leur chaise sur la tête. Le troisième le frappa en pleine poitrine avec le bout du microphone. D’une profonde entaille sur le front, au côté droit, le docteur Roy perdit son sang qui couvrit sa chemise et son veston. Comme M. Dufresne se portait à son secours, on entendit un bruit sourd et un homme s’écroula, le crâne fracassé, sans doute par une barre de fer. Des voix crièrent:
« Y en a un d’mort! »
L’homme grièvement blessé était Charles Parent, l’un des assaillants. D’après la version des témoins, Parent aurait été frappé par l’un de ses compagnons au cours de la mêlée.
Ces mots, « Y en a un d’mort » désarmèrent les assaillants qui déguerpirent.
On courut chercher un médecin et un prêtre et l’on demanda l’ambulance Bouchard. Ce fut le curé de l’Ange-gardien, M. l’abbé L. Picher, qui arriva. Très calme, il s’agenouilla près du blessé et ordonna à la foule de faire de même et de prier pour le nommé Charles Parent.
Au même instant, arrivèrent MM. Les docteurs Robert Fiset et Jos-Émile Villeneuve, qui s’empressèrent auprès des blessés. M. le docteur Fiset jugea l’état de Charles Parent très grave et ordonna son transport immédiat à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, où les médecins procédèrent à un examen radiographique. De son côté, M. le docteur Villeneuve pansa les blessures du Dr Roy et de ses compagnons.
La foule commença à évacuer la salle.
Sur ces entrefaites arriva S.H. Le Maire Grégoire. Il allait descendre de son automobile quand la même troupe de voyous l’entoura et le menaça de lui faire un mauvais parti s’il osait mettre les pieds dans la salle. Des pierres furent lancées, mais n’atteignirent personne. Elles frappèrent une auto voisine de celle du maire. Grâce à l’intervention de M. Le curé Picher, M. Grégoire put échapper aux manifestants et gagner le presbytère. Quelques minutes plus tard, S.H. Le Maire de Québec se rendit à l’assemblée de Beauport.
Notons qu’a l’assemblée sanglante de l’Ange-Gardien on ne vit aucun représentant de la Police Provinciale.
À BEAUPORT
L’assemblée de l’Union Nationale tenue à Beauport, dans la salle du Manège, était présidée par le maire de la paroisse, M. le commandeur Albert Chrétien. Les orateurs furent, dans l’ordre suivant: MM. Pierre Gelly, avocat, Oscar Drouin, Noël Dorion, avocats, Jean Martineau, avocat et ex-candidat dans Berthier, M. Horace Philippon et son Honneur le maire Grégoire.
Jusqu’à neuf heures, tout se passa dans le plus grand calme. La foule applaudit et marqua son enthousiasme en faveur des orateurs. À partir de ce moment, les choses prirent une autre tournure. Des personnes au courant de la bagarre à l’assemblée du docteur Roy, parlaient de l’arrivée de la bande déterminée à briser les deux réunions politiques, et qui avait déjà fait une si triste besogne à l’Ange-Gardien.
Après le discours de M. Oscar Drouin, Mtre Noël Dorion fit part à la foule des incidents qui venaient de se dérouler à huit milles de Beauport.
« On nous informe » , dit-il, « qu’une bande organisée a pénétré dans la salle de l’Ange-Gardien et a assommé quelques uns de nos amis. On nous informe qu’il y a quelqu’un de blessé grièvement. C’est là une illustration nouvelle des méthodes du Régime pour empêcher la vérité de se faire jour en cette province. Contre ces méthodes canailles, nous venons protester ce soir. J’espère que le peuple sera avec nous pour montrer qu’il ne veut plus se laisser tyranniser par le régime Taschereau! ». (Applaudissements).
Monsieur Jean Martineau prit ensuite la parole. À ce moment, les terroristes de l’assemblée de l’Ange-Gardien commencèrent à se glisser dans la salle du Manège. L’un d’eux tenta de couvrir la voix de l’orateur.
« Dehors l’interrupteur! » crièrent plusieurs voix.
On entendit quelques sifflets. Le président, M. Chrétien, crut bon d’intervenir en demandant aux interrupteurs de se tenir cois dans « l’intérêt de la ville de Beauport ».
Les cris et les sifflets redoublèrent.
« Je vous en prie, pour la bonne renommée de la ville »… risqua de nouveau M. Chrétien. Il dut s’arrêter devant l’obstination des manifestants à lui couper la parole. Pendant quelques minutes, la foule se tient debout et attend. Quelques-uns montent sur le théâtre afin de mieux voir ce qui se passe à l’entrée de la salle. Les « Hourra Taschereau! » et les « À bas Taschereau! » fusent
« Dehors! » crie l’assistance toute entière, à l’adresse du groupe de manifestants.
Finalement, le flot de la foule parvient à rejeter la bande à l’extérieur. On referme la porte du manège et les auditeurs regagnent leur siège. Le silence se fait peu à peu. Le maire de Beauport demande à la foule d’écouter M. Martineau qui poursuit:
« Le meilleur moyen d’avoir raison de ces gens », dit-il, « c’est de ne plus s’en occuper » . Il félicite la population d’avoir mis à la porte les manifestants et, ajouta-t-il « de l’avoir fait si complètement » . « Il y a assez longtemps que nous nous faisons mener par ces bandits ».
À l’extérieur, le groupe de Roméo Parent se rue à l’assaut de la porte du manège, contre laquelle on lance des pierres. À l’intérieur, de nouveau la foule s’émeut. Néanmoins, Mtre Horace Philippon s’avance pour parler. On l’ovationne. Quelqu’un crie:
« J’ai le plaisir de vous dire que les voyous sont sortis ».
L’orateur remercie la foule pour la façon digne dont elle a fait les choses malgré les interruptions et parle de l’assemblée de l’Ange-Gardien.
« M. le maire Grégoire m’a fait dire que nous devrions faire attention à nous, parce que la bande nous réserverait le même sort. »
À ce moment, deux policiers provinciaux font leur apparition près de l’estrade.
« Messieurs de la Sûreté provinciale, on vous salue » lance Mtre Philippon.
Quelques interrupteurs, qui, profitant de l’entrée des policiers dans la salle s’étaient glissés derrière eux, se mirent à crier « Chou! ». De nouveau, on suspend l’assemblée. On parle et on crie près de la porte. Mtre Philippon reprend la parole.
« Je remercie » dit-il « ceux qui m’ont soutenu contre un régime dont vous avez ce soir des représentants ».
À l’arrière, les manifestants chantent « Il a gagné ses épaulettes !. » et crient « chou ».
Après une pause, Mtre Philippon demande si l’on peut continuer. La foule répond affirmativement.
« Si l’autorité ne peut protéger l’ordre » dit l’orateur, « nous allons organiser nos Canadiens, non pas en chemises noires, mais en belles chemises grises et la population se fera justice contre l’exploitation . »
On crie encore en arrière. Mtre Philippon continue quand-même et est applaudi.
« Je me demande s’il est dans l’intérêt de tout le monde de continuer l’assemblée » , dit-il.
« Oui, oui! », répond la foule.
On crie de nouveau. La conversation reprend de plus belle dans la salle et tous les auditeurs sont debout. Le Maire de Québec, M. Grégoire, fait son entrée, la foule l’acclame et entonne le « Il a gagné ses épaulettes. »
L’arrivée du maire de Québec en a rassuré plusieurs. La présence de M. Grégoire ne fut sans doute pas étrangère à l’atmosphère de calme qui plana sur l’assemblée dans la suite.
« Comme vous le voyez » continue Mtre Philippon, « la lutte n’est pas finie, elle commence. Il y a ici des représentants de la Police Provinciale. Nous leur demandons de faire leur devoir au nom de l’ordre public ».
Cet avertissement formel eut pour résultat de calmer les manifestants qui, de ce moment à la fin de l’assemblée, ne crièrent plus qu’une fois.
« Ces gens qui nous ont interrompus », dit encore Mtre Philippon, « ne sont pas les plus coupables. Les plus coupables ce sont ceux qui les ont soudoyés. Malgré les cris, nous continuerons de tenir des assemblées. Nous en aurons une immense dimanche prochain, au Manège Militaire. de Québec, et j’avertis la Police Provinciale qu’elle devra faire son devoir. Nous voulons l’ordre, mais nous ne permettrons pas aux autres de faire le désordre. »
La foule applaudit l’orateur qui regagne son siège.
Son Honneur le Maire Grégoire prend alors la parole. On applaudit; les hommes enlèvent leur coiffure et chantent « Il a gagné ses épaulettes!, »
L’orateur félicita et remercia la population de Beauport de l’accueil enthousiaste dont il était l’objet et relata la bagarre de l’Ange-Gardien qu’il qualifia de « scène pénible à voir ».
« Les manifestants » dit-il « sont pour la plupart de braves gens qui ne comprennent pas le sens de la campagne que nous faisons. Ce sont des malheureux qui ne savent pas contre qui se venger de leurs malheurs . Nous sommes ici dans un pays libre. Nous devrions être maîtres chez-nous. Si des manifestants viennent ici c’est que des étrangers les soudoient . »
Monsieur le Maire s’éleva ensuite contre les articles du « Soleil » et de l’ « Évènement », puis raconta comment il avait fait lutte au candidat ministériel dans Montmagny. Il dit que «  le gouvernement de M. Taschereau ne connait pas ce que c’est que des élections honnêtes; ce que nous voulons, nous, pour l’avenir , c’est des élections honnêtes »   dit-il aux applaudissements de la foule. Il termina en déclarant qu’a Beauport, on pouvait parler librement et qu’on était écouté.
Quelques mots de remerciement de la part de Mtre Philippon et, à la demande de celui-ci, la foule entonne le « Ô Canada ».
Il était alors dix heures et demie.
À la sortie de la salle, nous avons assisté à un spectacle pénible. Plusieurs manifestants buvaient le salaire de leur sale besogne. Quant aux autres, ils crachaient des blasphèmes. Et cela, à la vue des agents de la Sûreté provinciale.
Des témoins nous affirment que des membres de la police provinciale ont assisté, impassibles, au lancement de pierres , dont quelques une énormes, contre la porte du Manège de Beauport.
Le chef apparent de la troupe, Roméo Parent, se mêla à un groupe de personnes et déclara qu’il ferait son affaire au premier qui oserait se prononcer contre M. Taschereau.
Autre détail intéressant. Une heure avant la tenue de son assemblée, Mtre Horace Philippon fut averti par téléphone qu’il était de son intérêt de se rendre tout d’abord à l’assemblée de l’Ange-Gardien. Inutile de dire que son interlocuteur refusa de dire qui il était. Mtre Philippon donna sa causerie au poste CRCK et dina au Château Frontenac. Comme il était 8hre15 lorsqu’il se leva de table et qu’il devait être à Beauport à 8hr30, il décida donc de ne pas se rendre à l’Ange-Gardien.
                                                                                   -30-
Georges-Henri Du Berger, L’Action catholique, 9 décembre 1935
Mon cher Reynald,
J’ai lu avec grand intérêt le reportage journalistique de ton père paru en 1935 dans l’Action Catholique de Québec. Ça m’a rappelé que Tachereau connaissait mon grand-père Edgar Gagné qui a travaillé au Parlement dans ces années-là. Il était le responsable de la première brigade de policiers à moto mise sur pied en 1932. Il patrouillait lui-même à l’occasion. J’ai toujours ses « leggings » de cuir (jambières de cuir que les patrouilleurs portaient pour ne point se brûler les mollets sur les cylindres brûlants des motocyclettes). J’ai aussi chez moi un vieux service de salle à dîner hérité de mon grand-père. Semble-t-il qu’il aurait pris son repas à quelques reprises chez Edgar mon grand-père et siégé à la table sur laquelle je me restaure quotidiennement. Petit monde.
Tel que rapporté dans Wikipédia: « Joseph-Alexandre Tachereau a été député à l’Assemblée législative pour la première fois en 1900, il devient plus tard le ministre des Travaux publics sous Lomer Gouin de 1907 à 1919. Élu premier ministre en 1920, à une époque où l’économie nord-américaine commence à éprouver des difficultés qui mèneront finalement à la Grande Dépression, Taschereau encourage vigoureusement le développement, par l’entreprise privée, des ressources forestières et minérales importantes dans la région d’Ungava et de Nunavik que le Parlement du Canada avait ajoutée à la province de Québec. »
Je crois Reynald qu’on commence à avancer en âge pour se rappeler ces faits pas si lointains pour nous.
À+ Gilles
La démocratie n’est pas parfaite… loin de là . Elle traîne avec elle son boulet: l’électoralisme. L’électoralisme fait adopter les mesures «populaires», bien davantage que les mesures «nécessaires». Quand la société est malades, le remède bien que nécessaire n’est pas populaire.
Ce n’est qu’un défaut de la démocratie, un autre est qu’il nous force au compromis, quand ce n’est pas à la compromission. Pour prendre le pouvoir en démocratie, il faut rallier le maximum de gens à ton parti. Pour ratisser large, il faut que tu fasses le maximum de compromis. Chaque individu a ses convictions, et à la limite pour respecter l’intégrité à ce que nous sommes, il devrait y avoir autant de partis que d’individus. Certains ont adopté cette voie, comme «Option Nationale», sans réelles chances de prendre le pouvoir. Plus tu es intègre à tes idées, et moins tu as de chances de les réaliser.
Le deuxième point est qu’en démocratie, tous les systèmes électoraux ne sont pas égaux. Ils ont tous leurs qualités et leurs défauts, mais aucun n’est parfait. Le vote stratégique est nécessaire dans notre système à un seul tour, et désavantage les tiers partis. Je m’en désole, car ceci appauvrit notre démocratie d’une diversité idéologique. J’aimerais bien pouvoir voter pour le parti qui me représente le mieux, dans un premier tour de scrutin (comme en France); et par la suite prendre le moindre mal dans le second tour. Malheureusement je suis au Québec, et je n’ai qu’un seul tour (le deuxième) et je devrai tout de suite choisir le moindre mal.
Malheureusement, plusieurs électeurs, sous prétexte d’un vote « stratégique » plutôt que logique, écoutant avec des oreilles trop naïves et donc soumises, les résultats de sondages, marqueront leur X à côté du nom du candidat qui représente un parti « de moindre mal » mais dont le programme contient des mesures importantes diamétralement opposées à leurs convictions profondes. Ils oublieront alors le candidat du tiers parti qui est pourtant en harmonie avec leurs aspirations, leurs convictions, sous prétexte de ne pas devenir « loosers ». Mais ils seront en réalité des loosers avec le gouvernement dont ils hériteront suite à leur vote « stratégique ». Cela n’est pas ma conception de la démocratie moderne. C’est ainsi qu’on se retrouve éternellement avec des gouvernements merdiques ou semi-merdiques, jamais avec ceux qu’on désire vraiment. En éliminant 43% des électeurs au profit des voix des seuls contribuables, plus besoin des votes stratégiques. Les contribuables ont du coeur, puisqu’ils « contribuent », ils continueront donc de s’occuper des pauvres, mais le filet social aura des mailles beaucoup moins serrées.
«No representation without taxation»
Votre commentaire «Les actionnaires du Québec Inc.», a le courage d’aborder le noeud du problème: de plus en plus de politiques sont dictées, par une frange de la population, qui n’en assume pas les coûts.
Votre analogie avec les actionnaires d’une compagnie est très explicite. L’Amérique est née d’une volonté de s’affranchir du joug de la royauté britannique. Les colonies américaines se sont révoltées sous le cri de ralliement de «No taxation without representation». Notre société ne survivra qu’en s’affranchissant à son tour de la tyrannie des «prestataires», en mettant de l’avant son corollaire: «No representation without taxation».
Monsieur Du berger…, vous parlez avec justesse des « non contribuables ». Dans notre démocratie moderne, les non contribuables ont le droit de s’exprimer. Le malheur si je peux utiliser l’expression, c’est que parmi ces concitoyens, il y en a beaucoup qui n’ont pas de vision globale éclairée, de leur organisation sociale. Un pourcentage se laisse influencé par des discours tenus par d’habiles « Sophistes », qui leurs mentent en pleine face sans que ces derniers s’en rendent compte. Par exemple dans mon coin de pays, qui est la région de St-Hyacinthe, ces Sophistes ont convaincu un pourcentage de citoyens ignorants, que le gaz de shale est dangereux ! Tous les ignorants ont cru ces menteurs sur parole…, et n’ont pas voulu entendre les scientifiques expliquer la démarche réelle de l’exploration et l’exploitation de ces gaz. Ils veulent que l’État leurs donne le plus possible mais ils sont incapable de comprendre comment l’État fait son argent, afin de les payer ! Donc…, dans ce contexte, un homme comme moi doit se baser sur les propositions globale d’un Parti. Je ne peux donc pas voter pour Amir et Cie, car il a peur de la richesse. Je ne peux pas voter pour le PQ car il veut me voler toutes les richesse du Canada…, richesse qui nous appartiennent aussi à nous québécois. Il me reste donc la CAQ et le Parti Libéral du Québec. Dans ces élections provinciales, mon choix sera probablement le PLQ, pour son programme globale. Aujourd’hui, les gros bras des années 30-40 et 50 sont morts. Nos élections sont mieux organisées. Malgré tout, nous les électeurs, devons essayer de garder notre perspicacité afin de faire grandir notre bien-être collectif et de pas nous laisser manipuler par les organismes de communications modernes !
Monsieur Du Berger, votre père devait avoir un talent de raconteur né pour écrire cette manchette à 21 ans. C’était probablement plus le talent qui s’exprimait que l’expérience. La chronologie est complexe dans cet article et les détails sont très étoffés.
Merci pour votre commentaire. Il a dû aussi questionner des témoins pour paufiner son article. Petit garçon, quand je descendais aux toilettes la nuit pour un verre d’eau ou le pipi, je le voyais souvent penché sur sa vieille machine à écrire Underwood (que je possède toujours) , taper un article ou une chronique sur le concert qu’il venait de voir au Palais Montcalm. Il était un excellent conteur et chaque soir on s’assoyait à ses pieds en pyjama et il nous racontait un épisode de 15 ou 20 minutes d’une histoire de son cru, qui durait souvent une ou deux semaines. Jamais il ne nous a lu une histoire dans un livre. Il les inventait. Les pères comme lui aujourd’hui sont rares.
Les arts sont l’école du talent.
Costa-Gavras, s’est il inspiré de l’article de votre père pour son film « Z » ?
Les « colonels » / commanditaires, ont-ils été accusés en Justice ?
Le Québec d’antan, a-t-il, lui, inquiété les puissants ?
La proposition de limiter le droit de vote par la contribution fiscale, est-elle progressive : un contribuable lourdement imposé, aura-t-il, proportionnellement, plus de bulletins ?
Même ceux dont le gouvernement ne réclame pas de contribution directe, car trop pauvres, payent des taxes sur la consommation, taxes municipales, scolaires et des tarifs directs ou cachés.
Cela devrait bien valoir un petit demi – bulletin de vote …
Que dire de l’analphabète fonctionnel, une espèce apparemment abondante (49 %) dans ce futur Pays que désire nous imposer par la bande votre député ?
Lorsque la troïka Lisée – Marois – Péladeau aura concocté une question référendaire tordue (pourquoi changer ?), ne serait-il pas décent de limiter le droit de vote qu’aux détenteurs de licence en Droit ?
Je crois que les mœurs électorales changeraient si le peuple était systématiquement amené à exercer un jugement critique.
Ce qui nous manque cruellement, ce sont des journalistes, comme votre père, capables d’empathie et de pensée libre.
Le poste d’arbitre impartial est toujours vacant chez nous.
Notre quatrième pouvoir fut formé en masse à la même école.
Les journalistes SSS (socialistes, syndicalistes et séparatistes) aiment trop la malléabilité de l’électorat.
Mode d’emploi : établir le principe d’unanimité tribale sur des grand enjeux et enraciner un certain nombre de postulats intouchables (ex.: menace omniprésente pour la survie du « petit » québécois, catéchèse écolo, etc.), que seuls des renégats oseraient questionner. Intervenir et arbitrer en même temps la rectitude politique.
Cela ne présage rien de bon pour le futur Pays.